Nos Pires Amis
How to get rid of your best friends – Nuestros peores amigos – Os nossos piores amigos |
Une comédie de Jean-Pierre Martinez
Pour 2 hommes et 2 femmes
Les amis, c’est parfois plus facile de s’en faire que de s’en défaire
Vincent et Juliette partent depuis toujours en vacances avec Patrick et Christelle. Mais ils aspirent maintenant à des relations plus haut de gamme susceptibles de servir leurs nouvelles ambitions professionnelles. Cherchant un prétexte pour se défaire de ces amis devenus encombrants, ils vont se prendre au piège de leurs propres mensonges. Il n’est pas si facile de se débarrasser de ses meilleurs amis…
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TEXTE INTÉGRAL DE LA PIÈCE
Nos Pires Amis
Les amis, c’est parfois plus facile de s’en faire que de s’en défaire
4 PERSONNAGES
Vincent
Juliette
Patrick
Christelle
Intérieur petit bourgeois moderne. Vincent achève de mettre en place une cave à vin électrique, avant de se plonger dans la lecture de la notice d’utilisation. Juliette arrive depuis l’extérieur et s’annonce avant d’entrer.
Juliette – C’est toi ?
Vincent – Oui.
Juliette – C’est moi !
Vincent – Dans ce cas, je pense que c’est bien nous…
Elle entre et pose un sac de courses dans un coin.
Vincent – Quelqu’un d’autre a les clés d’ici à part toi et moi ?
Elle ôte son imper, et dépose le courrier sur la table basse.
Juliette – On ne sait jamais. Ça pourrait être un voleur.
Vincent – Tu as raison… Ou même un terroriste… Bonsoir ma chérie.
Juliette – Bonsoir mon cœur.
Ils échangent un baiser rapide.
Vincent – Tu as passé une bonne journée ?
Juliette – J’ai travaillé sur mon nouveau scénario.
Vincent – Ah oui… Ça parle de quoi, déjà ?
Juliette aperçoit la cave à vin.
Juliette – C’est l’histoire d’une femme qui découvre que son mari est en réalité un extra-terrestre.
Vincent – Tiens donc… Et comment elle s’en aperçoit ?
Juliette – Elle se rend compte qu’il a bricolé le moteur de leur frigo et qu’il l’a transformé en module spatio-temporel pour tenter de regagner sa planète d’origine.
Vincent (la tête ailleurs) – Intéressant… Et ça se termine comment ?
Juliette – Je ne sais pas encore… Par un divorce, j’imagine…
Vincent – Super…
Juliette – Non, mais je te fais marcher, c’était pour vérifier que tu m’écoutais vraiment.
Vincent – Dommage, ça me plaisait bien, cette histoire…
Juliette – Je suis juste sortie faire quelques courses pour ce soir… Ils arrivent à quelle heure ?
Vincent (plongé dans sa notice) – Qui ?
Juliette – Les Envahisseurs ! Patrick et Christelle…
Vincent – Ah oui, c’est vrai… Patrick m’a appelé. Il passe prendre Christelle au salon et ils arrivent.
Juliette – Au salon ?
Vincent – Au salon de coiffure ! C’est nocturne ce soir, elle termine à 21 heures…
Juliette s’approche et regarde la cave à vin.
Juliette – Qu’est-ce que c’est que ça ? On a déjà un frigo, non ? Ne me dis pas qu’il est tombé en panne…
Vincent (fièrement) – Ce n’est pas un frigo, c’est une cave à vin.
Juliette – Une cave à vin ?
Vincent – C’est un peu comme un frigo. Mais c’est pour maintenir le vin à température constante.
Juliette – Pour…?
Vincent – Pour qu’il vieillisse dans de bonnes conditions…
Juliette – En général, nos bouteilles, on ne leur laisse pas tellement le temps de vieillir…
Vincent – …et pour que le vin soit à la bonne température quand on le boit.
Juliette – En même temps, on n’a pas de très grandes bouteilles, non plus…
Vincent – Raison de plus pour que le vin soit à la bonne température !
Juliette – Et ça t’a coûté combien, ce frigo à vin ?
Vincent – Pas très cher. C’est un client pour qui on bosse à l’agence…
Juliette – Combien ?
Vincent – Trois ou quatre cents euros, je ne sais plus.
Juliette – Trois cents ou quatre cents ?
Vincent – 399.
Juliette – Eh ben… Avec ça, on aurait pu s’acheter pas mal de bonnes bouteilles.
Vincent – Qu’on n’aurait pas pu boire à la bonne température…
Juliette – Ok, mais… On a déjà une cave, non ? Je veux dire une vraie cave. Au lieu d’y entasser nos vieux ordinateurs à température constante, on pourrait y stocker du vin.
Vincent – Ouais… J’y ai pensé.
Juliette – Ah oui quand même… Tu me rassures…
Vincent – Malheureusement, j’ai vérifié, la cave n’est pas à la bonne température.
Juliette – Sans blague ?
Vincent – Elle est un peu trop chaude. Ça doit être à cause de la chaudière.
Juliette – On n’a qu’à mettre la chaudière au milieu du salon ! Comme ça on pourra mettre le vin à la cave ! (Vincent lui lance un regard perplexe) Je plaisante.
Vincent – Et puis ce sera plus pratique d’avoir les bouteilles sous la main…
Juliette – Si tu le dis… (Elle regarde le courrier) Tiens, j’ai reçu mes résultats d’analyse…
Vincent (plongé dans le mode d’emploi) – Ah ouais…?
Juliette ouvre l’enveloppe et lit.
Juliette – Ouh la la, c’est compliqué… Alors… Normal, normal, normal… Ouf… Tous les résultats sont normaux.
Vincent (ailleurs) – Tant mieux…
Juliette – Aucune trace de cancer. Tu ne seras pas encore veuf tout de suite.
Vincent – La température…
Juliette – Non, je n’ai pas de température non plus, je te remercie…
Vincent – Je ne sais pas sur quelle température je dois la régler… Pour garder le vin, c’est plutôt 12 degrés… Mais pour le boire c’est plutôt 18…
Juliette – Bon, je vais mettre la table…
Vincent – Enfin, pour le vin rouge, parce que pour le blanc… C’est du blanc ou du rouge, qu’il amène, Patrick ?
Juliette – Tu n’as qu’à lui demander…
Vincent – Tu as raison, je lui envoie un SMS.
Il pianote sur son portable, et envoie le SMS. Le portable se met aussitôt à sonner.
Vincent – Eh ben, il est rapide… (Vincent prend l’appel) Ouais… (N’ayant pas l’air de savoir qui c’est) Stéphane…? (Se reprenant tout à coup, beaucoup plus concerné) Stéphane ! Non, non, bien sûr… C’est juste que j’attendais un autre appel de… Non, non, pas de problème… Bien sûr, on peut se tutoyer… Mais pas du tout, vous… Tu ne me déranges pas… On attend des amis, là, ils ne sont pas encore arrivés… Ouais… Ouais… Ah ouais… Ah ben oui, bien sûr… Ah ben non, au contraire… Ah ben si, tu penses bien… Ok… Ok… D’accord, on en parle lundi, Stéphane… Merci de me faire confiance, tu ne seras pas déçu, tu verras… Bonne soirée à toi, Stéphane…
Il raccroche, aux anges.
Vincent – C’était Stéphane…
Juliette – Stéphane…?
Vincent – Mon nouveau patron.
Juliette – Je ne savais pas qu’il s’appelait Stéphane.
Vincent – Je t’avoue que moi non plus. Quand il a racheté la boîte, il a commencé par virer dix personnes. Jusqu’à maintenant, pour moi, c’était Monsieur Zimmerman.
Juliette – Et maintenant vous vous tutoyez ?
Vincent – Attends, ce n’est pas fini… Il me confie le Web Marketing d’un nouveau client. Tiens, celui qui fabrique ces caves à vin, justement.
Juliette – Non ?
Vincent – Si tout se passe, bien, il m’a laissé entendre que je serai bientôt promu Responsable de Budget.
Juliette – Génial !
Vincent – Et en attendant, il me passe en CDI !
Juliette – Mais c’est merveilleux !
Ils s’enlacent.
Juliette – Je suis fière de toi, mon cœur.
Vincent – Merci…
Juliette prend un air plus sérieux.
Juliette – Écoute, je voulais attendre un peu avant de te l’annoncer, pour être vraiment sûre, mais moi aussi j’ai une grande nouvelle à t’annoncer.
Vincent – Tu n’es pas enceinte au moins ?
Juliette – Non, rassure-toi…
Vincent – Raconte !
Juliette – J’ai reçu un mail, tout à l’heure. Une maison de prod à qui j’avais envoyé mon premier scénario.
Vincent – Et alors ?
Juliette – Ils sont intéressés. Ils parlent de me signer une option !
Vincent – Une option ?
Juliette – Un précontrat, si tu préfères.
Vincent – Combien ?
Juliette – Comment ça, combien ?
Vincent – Le contrat, combien ?
Juliette – Non, mais pour l’instant, il n’y a pas d’argent. C’est juste une option, avec une clause d’exclusivité. Pour je n’aille pas proposer le sujet à quelqu’un d’autre, tu comprends ?
Vincent – Ah oui…
Juliette – Mais ça veut dire que le scénario les intéresse ! C’est un petit producteur indépendant. À Marseille. Évidemment, s’ils décident de tourner le film…
Vincent – Waou… Mais c’est super ! Moi bientôt Responsable de Budget, toi qui vends ton premier scénario…
Juliette – Tu as raison… Je ne sais pas pourquoi… mais je crois qu’on est sur une pente ascendante, là.
Vincent – Moi aussi… J’ai l’impression qu’on est en train de passer un cap.
Le portable de Vincent signale l’arrivée d’un SMS. Il jette un regard vers l’écran.
Vincent – Christelle… Ils amènent du rouge…
Juliette sort une bouteille de champagne de son sac.
Juliette – Et si tu réglais ta cave à vin sur champagne ! On pourrait fêter ta promo et la signature de mon premier contrat ?
Vincent – Avec Patrick et Christelle ?
Juliette – Tu as raison, il vaut mieux qu’on fête ça en amoureux…
Il prend la bouteille.
Vincent – De toutes façons, il n’est pas à la bonne température. On boira ça tous les deux quand on sera tranquilles. En attendant, je vais la mettre au frigo. Le champagne, c’est meilleur quand c’est bien frais.
Il sort avec la bouteille de champagne. Elle recommence à mettre la table.
Juliette – Et cette histoire de bateau, c’en est où ?
Vincent revient sans la bouteille.
Vincent – Ça y est, Patrick en a trouvé un. Une occase, sur le Bon Coin. Une affaire, apparemment…
Juliette – Comme la cave à vin… Combien ?
Vincent – Je ne sais pas encore exactement. Il nous dira ça tout à l’heure… Le seul problème, c’est que pour l’instant, il est à quai à Saint-Brieuc. Il va falloir qu’on trouve une remorque…
Juliette – Une remorque ?
Vincent – Pour l’amener jusqu’à Concarneau.
Juliette – Je pensais qu’un bateau… Pour aller de Saint-Brieuc à Concarneau…
Vincent – Attends, ça fait presque tout le tour de la Bretagne. Ce n’est qu’un petit voilier… Et nous, pour l’instant, on est des marins d’eau douce. Je ne suis pas encore prêt pour la Route du Rhum, moi…
Juliette soupire.
Juliette – Super… Une année de plus en Bretagne, alors… Avec Patrick et Christelle…
Un temps.
Vincent – C’est vrai que moi aussi, j’aimerais bien changer de temps en temps. Mais la Bretagne, ça a quand même certains avantages…
Juliette – Déjà, on ne se ruine pas en crème solaire…
Vincent – Sans compter qu’on n’a pas de location à payer.
Juliette – Ouais…
Vincent – Tu imagines combien ça nous coûterait si on devait louer une villa à Concarneau ?
Juliette – Bon, en même temps, ce n’est pas vraiment une villa… Moi j’appellerais plutôt ça un cabanon, pas toi ?
Vincent – C’était la maison de sa grand-mère…
Juliette – Oui… Et ils n’ont jamais fait de travaux depuis qu’ils en ont hérité…
Un temps.
Vincent – Concarneau… C’est quand même là où on s’est connus… Tu avais seize ans quand je t’ai rencontrée, avec Patrick, dans cette boîte, tu te souviens…
Juliette – En fait, je n’en avais que quinze. Mais le videur était le cousin de ma copine…
Il la prend un instant dans ses bras.
Vincent – Et c’est moi que tu as choisi…
Juliette – Oui… Tu y tiens vraiment, à ce voilier ?
Vincent – C’est surtout une idée de Patrick. Ça a l’air de lui faire tellement plaisir…
Juliette – Si c’est pour faire plaisir à Patrick, alors…
Vincent – Ils ne nous ont jamais rien demandé financièrement, pour la maison… C’est une façon de participer aux frais des vacances.
Juliette – Et moi, qu’est-ce que je ferai pendant que vous serez sur votre voilier ? Je parlerai chiffons avec Christelle ?
Vincent – Tu t’ennuies tellement, avec elle ?
Juliette – Ils sont très gentils, tous les deux, mais il faut bien reconnaître que…
Vincent – Ils sont un peu beaufs.
Juliette – On est presque des amis d’enfance, c’est vrai, mais qu’est-ce que tu veux ? On n’a pas évolué dans le même sens. À la longue, ça finit par se voir un peu… Lui maître nageur, elle coiffeuse… On a de moins en moins de choses à se dire… De quoi vous parlez, quand vous êtes tous les deux, avec Patrick ?
Vincent (embarrassé) – Ben…
Juliette – Moi si je veux discuter avec une coiffeuse, je vais chez le coiffeur. Personne ne part en vacances avec sa coiffeuse.
Vincent – Tu as raison, ces gens ne nous tirent pas vers le haut.
Juliette – C’est triste à dire, mais quand on est dans une montgolfière et qu’on veut s’envoler, il faut savoir lâcher du lest.
Vincent – Une montgolfière ?
Juliette – Un bateau, si tu préfères. Quand on veut passer un cap, et que le bateau est surchargé, il faut avoir le courage de sacrifier quelques poids morts pour continuer sa route et découvrir de nouveaux continents.
Vincent – C’est clair… Mais qu’est-ce que tu veux dire par là, exactement ?
Juliette – Les copains d’abord, c’est bien gentil. Mais quand on a l’impression que le bateau est en train de s’enfoncer, les copains, il faut savoir les jeter par dessus bord pour rester à flots. Et moi, Patrick et Christelle, et ben j’en ai jusque là, figure-toi.
Le portable de Christelle sonne et elle prend l’appel.
Juliette (très aimablement) – Oui, Christelle ? D’accord… Non, non, pas de problème, on vous attend… Ah oui ? On a hâte de savoir de quoi il s’agit… À tout à l’heure Christelle… (Elle repose son portable) Ils sont un peu en retard, mais ils arrivent. Et ils ont une bonne nouvelle à nous annoncer.
Vincent – Super…
Juliette – Une bonne nouvelle…
Vincent – À ton avis ? Qu’est-ce que c’est pour eux, une bonne nouvelle ?
Juliette – Ils ont dû changer la machine à laver en Bretagne.
Vincent – Ou installer des toilettes à l’intérieur de la maison.
Juliette – Là, il ne faut pas trop rêver quand même…
Ils restent un instant songeurs.
Vincent – Je t’ai dit que Stéphane avait une villa à Saint Rémy ?
Juliette – Saint Rémy les Chevreuse ?
Vincent – Saint Rémy de Provence ! Une résidence secondaire, si tu préfères. Avec piscine et tout…
Juliette – Non ?
Vincent – Juste à côté de celle de Michel Drucker. C’est très bobo, la Provence, tu sais. La côte d’Azur, c’est fini. C’est trop populo. L’été, ils sont tous là-bas. En Provence.
Juliette – Il t’a invité ?
Vincent – Pas directement… Mais il a dit devant moi que c’était l’endroit idéal pour se retrouver entre amis l’été. Maintenant qu’on se tutoie et qu’il m’appelle par mon prénom…
Juliette – Évidemment, si on n’est pas disponibles, il ne nous le proposera même pas…. Il sait qu’on passe tous les étés en Bretagne ?
Vincent – En tout cas, je ne m’en suis pas vanté…
Juliette – Saint Rémy de Provence… C’est sûr que ça fait plus rêver que Concarneau…
Vincent – Pour ton scénario, ce serait bien. Tout le showbiz est là-bas au mois d’août. Les gens de la télé, du cinéma…
Juliette – Ils ne sont pas à Concarneau, en tout cas, ça c’est sûr…
Un temps.
Vincent – Il n’y a pas un festival de films à Concarneau ? Le Festival de Concarneau, ça me dit quelque chose…
Juliette – Locarno. Le Festival de Locarno.
Vincent – Ah oui, c’est ça, tu as raison… Ça m’étonnait aussi…
Juliette – Locarno, c’est en Italie, sur le Lac Majeur. Tu penses bien que s’il y avait un festival à Concarneau, ce ne serait pas un festival de cinéma. Je ne sais pas moi. Le Festival de la Morue, peut-être… Ou du Bigorneau…
Vincent – Malheureusement, pour l’instant, à moins d’un miracle, ce sera encore la Bretagne…
Juliette – Et avec l’achat en commun de ce voilier, on en prend pour perpète.
Vincent – Ouais…
Juliette – On ne pourrait pas trouver un moyen de se défiler ?
Vincent – Ce sont des amis, quand même… Qu’est-ce qu’on pourrait bien leur dire ? On devait partir avec vous en Bretagne comme tous les ans, mais on a décidé que vous n’étiez pas assez bien pour nous ? Ils vont se vexer…
Juliette – Présenté comme ça, ils ne comprendraient pas, c’est sûr…
Vincent – Il faudrait trouver un moyen de se décommander… sans les froisser.
Juliette – Ouais, mais ça ne va pas être évident. Ça fait des années qu’on part en vacances ensemble. Et Patrick qui se lance dans l’achat d’un voilier avec toi… Une excuse bidon, ça ne va pas suffire.
Vincent – Il faudrait trouver un truc imparable… Le genre de choses qui coupe court à toute discussion…
Juliette – Bon, en attendant, je vais m’occuper de la cuisine pour ce petit dîner entre amis…
Vincent – Qu’est-ce que tu as fait de bon ?
Juliette – Moi rien, mais Picard nous a concocté… (Elle regarde sur le paquet) Tronçons de cabillaud gratinés avec un écrasé de pomme de terre…
Vincent – Ça l’air bon…
Juliette – C’est du poisson pané avec de la purée…
Elle sort. Vincent se replonge dans le mode d’emploi de sa cave à vin. La sonnette de la porte retentit. Il va ouvrir.
Vincent (off) – Salut Christelle ! Et ben alors ? Qu’est-ce que tu as fait de Patrick ?
Il revient avec Christelle, habillée de façon plutôt voyante et avec un certain mauvais goût. Elle porte un couffin et un sac.
Christelle – Il est en train de chercher une place. C’est de plus en plus difficile de se garer dans votre quartier. Comme on a la petite, je lui ai demandé de me déposer d’abord…
Vincent – Super… Mais tu ne m’avais pas dit que tu venais avec Sabrina…
Christelle – C’est la fille de la voisine qui devait la garder, mais elle a les oreillons…
Vincent – La fille de la voisine a les oreillons ?
Christelle – Non, Sabrina…
Vincent qui s’apprêtait à dispenser une caresse de bienvenue à l’enfant a un mouvement de recul.
Vincent – Les oreillons…?
Christelle – Enfin là, elle dort, heureusement… Je lui ai donné une cuillerée de sirop…
Vincent – Pour les oreillons…
Christelle – Pour la faire dormir ! Avec un peu de chance, elle nous foutra un peu la paix pendant le dîner. Depuis ce matin, elle n’arrête pas de pleurer…
Vincent – Bon… Tu peux la mettre dans la cave, si tu veux.
Christelle – La cave ?
Vincent – Je veux dire dans la chambre. Tu peux la mettre dans la chambre.
Christelle – Tu es sûr que ça va ?
Vincent – Et… ce n’est pas trop contagieux ?
Christelle – Un peu, si… Mais tu as déjà eu les oreillons, non ?
Vincent – Je ne sais pas…
Christelle – Je suis désolée, j’ai complètement oublié de te demander… Non parce que les oreillons, pour les hommes…
Vincent – Quoi ?
Christelle – Des fois ça peut provoquer des complications.
Vincent – Quels genres de complications ?
Christelle – Des problèmes de stérilité, par exemple.
Il affiche un air inquiet. Elle éclate d’un rire sonore.
Christelle – Non mais il n’y a pas de raison que tu chopes les oreillons… Tu les as sûrement déjà eu quand tu étais petit…
Vincent – Oui, sûrement…
Christelle – Je vais attendre un peu avant de la mettre dans la chambre… Je préfère être sûre qu’elle ne va pas se réveiller… Juliette n’est pas là ?
Elle retire son manteau qu’elle pose sur le canapé.
Vincent – Si… Si, si… Elle… Elle est dans la cuisine…
Christelle – Je te trouve bizarre depuis tout à l’heure… Il y a un problème ?
Vincent – Non… Non, non… Enfin…
Christelle – Quoi ?
Vincent hésite un moment avant de se lancer.
Vincent – Écoute, je ne voulais pas t’en parler mais… Juliette non plus, elle ne va pas très bien.
Christelle – Tu me fais peur… Ce n’est pas grave, au moins ? Ça ne va pas l’empêcher de partir en vacances avec nous ?
Vincent prend la lettre du laboratoire, sur la table basse.
Vincent – Elle vient d’apprendre qu’elle avait un cancer…
Christelle – Un cancer ? Oh, mon Dieu… Juliette, un cancer…
Vincent – Non, mais elle ne va pas mourir. Ce n’est pas un cancer grave.
Christelle – Pas grave ?
Vincent – Enfin si, mais…
Christelle – Elle est venue se faire coiffer au salon il y a à peine une semaine… Elle ne m’en a pas parlé du tout… Elle avait l’air en pleine forme…
Vincent – On a reçu les résultats du labo aujourd’hui.
Christelle – Oh merde… Mais c’est un cancer de quoi ?
Vincent – Je ne sais pas encore… Je veux dire, on ne sait pas encore exactement, mais… Du pied, je crois.
Christelle – Un cancer du pied ?
Vincent – Enfin, euh… C’est… une sorte de cor au pied, mais potentiellement cancéreux, si tu veux…
Christelle – Ah merde…
Vincent – Évidemment, ça remet en cause tous nos projets. Notamment nos projets de vacances…
Christelle – Je ne sais pas quoi dire…
Vincent – Surtout, tu ne lui en parles pas… À moins que ce soit elle qui décide de t’en parler la première…
Christelle – Bien sûr… Tu connais ma discrétion… Si je devais répéter tout ce que j’entends dans mon salon de coiffure, tu sais… Mais vous savez que vous pouvez compter sur nous tous les deux… Si vous avez besoin de quoi que ce soit…
Vincent – Merci.
Christelle – On est amis, non ? Si on ne peut pas compter sur ses amis quand on traverse ce genre d’épreuves…
Vincent – Oui, bien sûr… Mais on ne voudrait pas non plus…
Christelle – Et puis le cancer, au moins, ce n’est pas comme les oreillons, ce n’est pas contagieux.
Vincent – Je t’aide à amener tout ça dans la chambre ?
Vincent et Christelle sortent. Juliette revient pour apporter ce qu’il faut pour prendre l’apéritif. La sonnette de la porte retentit à nouveau. Elle sort un instant pour ouvrir.
Juliette – Ah ! Bonsoir Patrick.
Patrick – Salut ma poule. Tu as l’air surprise. C’était bien ce soir, non ?
Juliette – Mais oui, bien sûr, entre…
Elle revient avec Patrick, look plutôt beauf, une bouteille à la main.
Juliette – Christelle n’est pas avec toi ?
Patrick – Son manteau est là, ils doivent être dans la chambre en train de coucher la petite. Enfin, j’espère que c’est bien ça qu’ils sont en train de faire. Parce que je n’aime pas trop arriver chez un pote et le trouver dans sa chambre avec ma femme…
Il rit un peu bruyamment.
Juliette – Vous êtes venus avec le bébé ?
Patrick – Figure-toi qu’elle a la rougeole. Heureusement que tu n’es pas enceinte…
Juliette – Ah oui…
Patrick – Eh, tu nous l’aurais dit au moins, si tu étais enceinte ?
Juliette – Vous auriez été les premiers à le savoir…
Patrick – Non parce que la rougeole, pour les femmes enceintes, il paraît que… D’ailleurs, je crois que c’est plutôt les oreillons… Tiens j’ai apporté une bouteille de pif.
Il lui tend la bouteille. Elle la prend et jette un regard à l’étiquette.
Juliette – Côtes de Provence… Merci. C’est du rouge ou du blanc ?
Patrick – C’est du rosé. Tu peux le mettre au frigo, ça se boit bien frais.
Juliette – C’est Vincent qui va être content.
Patrick – Pourquoi ça ?
Juliette – Il t’expliquera… Au fait, je voulais te demander, pour le bateau…
Patrick – Vincent t’a dit ? Ça y est, je l’ai trouvé notre voilier !
Juliette – Oui, il m’a dit ça, mais…
Patrick – Tu sais comment il s’appelle ?
Juliette – Qui ?
Patrick – Le bateau ! Notre bateau ! Tu sais comment il s’appelle ?
Juliette – Non…
Patrick – Les Copains d’Abord ! Ce n’est pas un signe, ça ?
Juliette – Si, bien sûr, mais je voulais juste…
Patrick – Le problème, c’est qu’il faut que je trouve la remorque…
Juliette – Mais tu l’as déjà payé, ce bateau ?
Patrick – Je viens d’envoyer le chèque. Justement, c’est un peu pour ça qu’on vient aussi, parce que ce n’est quand même pas donné. Si j’avais pu, j’aurais avancé l’argent, tu penses bien, mais là… Si Vincent pouvait me faire un chèque de la moitié, je t’avoue que ça m’arrangerait…
Juliette – Et c’est justement ça qui va être compliqué…
Patrick – Comment ça, compliqué… J’en avais parlé avec lui et…
Juliette – Quand ?
Patrick – Pas plus tard qu’hier.
Juliette – Eh ben tu ne vas pas le croire mais… Vincent vient d’apprendre aujourd’hui qu’il était licencié…
Patrick – Licencié ? Ah merde…
Juliette – Il était en CDD et…
Patrick – Pourtant il m’avait dit que ça marchait très bien… et que son patron était très content de lui.
Juliette – Donc pour le bateau, évidemment, ça risque d’être un peu difficile…
Patrick – Non, mais attends, ce n’est pas le problème. Pour le bateau, on va s’arranger. Si je dois le payer tout seul… Et il me remboursera quand il pourra.
Juliette – Ce n’est pas seulement le bateau, malheureusement. C’est les vacances…
Patrick – Les vacances ?
Juliette – La Bretagne… Tu comprends… On ne va pas avoir les moyens de…
Patrick – Mais ça ne vous coûte rien ! On vous invite ! Et puis ce n’est pas parce qu’on est chômeur qu’on n’a pas le droit de prendre des vacances !
Juliette – Non mais… il faut que Vincent reste là, pour… Pour chercher un autre boulot, tu vois…
Patrick – Il en trouvera un après les vacances.
Juliette – Non, franchement… Je ne pense pas que ce soit une bonne idée… Il a tellement hâte de retrouver un job… Ce ne serait pas vraiment des vacances, pour lui, tu comprends… Et puis… Au cas où il y ait un contrôle de Pôle Emploi…
Patrick – Ah, oui c’est vrai… Pôle Emploi… Ah merde…
Vincent revient avec Christelle.
Vincent – Salut Patrick, ça va ?
Patrick – Ben oui, moi ça va… Et toi mon pauvre vieux ?
Vincent (un peu surpris) – Ça peut aller…
Ils se font la bise.
Christelle – Bonjour Juliette, comment ça va ? Enfin, je veux dire… Le boulot…
Juliette – Ça va, ça va…
Elles se font la bise.
Christelle – Tu as réussi à trouver une place ?
Patrick – Je me suis garé sur la place livraison de Pôle Emploi. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de livraison un vendredi soir. Excuse-moi, Vincent, je ne dis pas ça pour toi…
Vincent (avisant la bouteille sur la table) – Ah, tu as apporté du vin ?
Patrick – Ben oui, tu m’as même envoyé un SMS pour savoir si c’était du rouge ou du blanc. C’est Christelle qui t’a répondu, moi je conduisais. En fait, c’est du rosé.
Vincent – Ah merde, du rosé…
Patrick – Vous n’aimez pas le rosé ?
Christelle – Enfin Patrick, tout le monde aime le rosé !
Patrick – Non, c’est juste que… Je ne sais pas trop à quelle température ça se boit…
Juliette – Vincent a acheté une cave à vin…
Patrick aperçoit l’engin.
Patrick – Ah oui, tiens, une cave à vin, dis donc… Merde…
Juliette – Mais dans le salon, ça va nous encombrer, non ? Et si on mettait ça dans la cave ?
Vincent – Dans la cave ?
Juliette – C’est une cave à vin, non ?
Vincent – Oui, remarque pourquoi pas…
Juliette – Le rosé, je vais le mettre dans le frigo.
Patrick – Le rosé, c’est meilleur quand c’est frais… Tu veux un coup de main pour transporter ça ?
Vincent – Ok… Mais je vais d’abord voir où je peux la mettre…
Patrick – Je viens avec toi… Alors comment ça marche, cette cave à vin ?
Vincent – Écoute, je suis encore en phase de rodage, là, mais…
Ils sortent.
Christelle – Je suis vraiment désolée pour ce qui vous arrive…
Juliette – Ce qui nous arrive ?
Christelle – Vincent m’a dit pour la mauvaise nouvelle…
Juliette – Ah oui…
Christelle – Je lui avais promis d’attendre que tu m’en parles, mais bon… On est amies, non ?
Juliette – Oui.
Christelle – À quoi ça sert d’avoir des amis si on ne peut pas compter sur eux dans des moments pareils ?
Juliette – Bien sûr.
Christelle lui prend les mains.
Christelle – Et puis tu vas t’en sortir, hein ?
Juliette – Moi ?
Christelle – J’ai plusieurs clientes au salon qui sont passées par là… En général, les femmes n’aiment pas beaucoup parler de ça. Mais tu sais, un salon de coiffure, c’est un peu comme un confessionnal.
Juliette – Ah oui…?
Christelle – Alors dis-moi, parce que Vincent n’a pas été très clair. C’est quel type de…
Juliette – De…?
Christelle – Ça te gêne d’en parler, je comprends… Mais je suis sûre que ça te ferait du bien de te confier à une amie…
Vincent et Patrick reviennent. Elles s’interrompent.
Vincent – Non mais on va la laisser ici pour l’instant. Il faut que je fasse un peu de rangement dans la cave d’abord…
Patrick – Mais qu’est-ce qui se passe ici ? Vous en faites une tête ? On dirait que quelqu’un est mort…
Christelle (à Vincent) – Tu ne lui as pas dit ?
Patrick – Si, Christelle m’en a parlé, mais bon… Ce n’est pas si grave que ça, quand même. Il n’y a pas mort d’homme…
Christelle – Comment ça pas grave ? Évidemment, ils vont s’en sortir. Maintenant, on a fait beaucoup de progrès, mais bon… De là à dire que ce n’est pas grave…
Patrick – Moi j’ai confiance dans mon Vincent. Il a toujours su rebondir. Il va retrouver du boulot.
Christelle – Du boulot ? Vincent ?
Juliette (à Vincent) – Excuse-moi, mais j’ai préféré leur dire, pour ton licenciement…
Vincent – Ah oui…
Christelle – Ah parce que… En plus de ça, Vincent a perdu son boulot ?
Patrick – En plus de quoi ?
Patrick et Juliette échangent un regard perplexe.
Christelle (à Vincent) – Je suis désolée, j’avais promis de ne pas en parler…
Patrick – Parler de quoi ?
Christelle – Juliette a un cancer.
Juliette lance un regard effaré à Vincent. Christelle se met à pleurer. Patrick la console. Vincent et Juliette semblent très emmerdés.
Patrick – Ah merde… Ah non… Un cancer ? Dites-moi que ce n’est pas vrai…
Vincent – Non, mais ne vous inquiétez pas. Tout va bien se passer. C’est juste que pour les vacances…
Patrick – Mais c’est un cancer de quoi ?
Juliette – C’est… un cancer de… Un cancer du pancréas.
Christelle – Vincent m’avait dit que c’était un cancer du pied… Ne me dis pas que c’est déjà en train de se généraliser…
Juliette – On est en train de faire des examens complémentaires….
Vincent – Il paraît qu’en médecine chinoise, le pancréas et le pied, c’est très lié.
Christelle – Écoute, au salon, je coiffe la femme d’un grand spécialiste du cancer. Le Professeur Bismuth. Normalement, pour avoir un rendez-vous avec lui, c’est plus compliqué que d’avoir un rendez-vous chez le coiffeur, crois-moi. Mais Marie-Agnès, sa femme, m’a dit que si j’avais besoin, un jour, elle mettrait mon dossier sur le dessus de la pile. Je vais lui en parler…
Juliette – Non mais ce n’est peut-être pas la peine de la déranger, tu sais…
Christelle – Attends, tu plaisantes ? Mais enfin Juliette ! on est amis, oui ou non ?
Juliette – Si bien sûr, mais…
Christelle – Ce type-là, à l’hôpital, on le considère comme un Dieu. Il paraît qu’il fait des miracles…
Patrick – Et puis pour ton boulot, Vincent… Je vais y penser… Tu sais à la piscine, je vois passer pas mal de monde, moi aussi.
Vincent – Je ne sais pas si… En tout cas, merci…
Patrick – En attendant, pas question de vous laisser abattre. On va tous en Bretagne cet été.
Christelle – L’air marin, ça vous fera du bien à tous les deux.
Patrick – Et pour le bateau, ne t’inquiète pas. On va s’arranger… En ce moment, ce n’est pas très facile pour nous non plus, mais bon… Je peux toujours prendre un petit crédit en plus.
Vincent – Je ne sais pas quoi te dire…
Patrick – Attends, tu sais comment il s’appelle le bateau ?
Vincent – Non ?
Patrick – Dis-lui, toi, Christelle.
Christelle – Amis pour la Vie.
Patrick – En fait, c’est les Copains d’Abord, mais bon… Alors tu vois, bien… Vous n’êtes pas tout seuls !
Christelle – Je crois que le bébé s’est réveillé… Tu peux m’aider, Patrick ? Je suis tellement chamboulée, je ne sais pas si je vais réussir à m’en sortir…
Patrick et Christelle sortent.
Juliette – Un cancer du pied ? Tu n’as pas trouvé mieux ?
Vincent – J’ai improvisé… C’est la première chose qui m’est passé par la tête…
Juliette – Ça fait toujours plaisir…
Vincent – Remarque, le coup de mon licenciement, ce n’est pas mal non plus…
Juliette – Tu trouves ?
Vincent – On peut toujours guérir d’un cancer, mais moi ? Qu’est-ce que je vais leur dire après les vacances ? Qu’ils m’ont réembauché ?
Juliette – C’est clair qu’on aurait mieux fait de se concerter un peu avant. L’improvisation, ce n’est jamais très bon…
Vincent – C’est sûr… Maintenant, je ne sais pas trop comment on va s’en sortir…
Juliette – Tu as raison, iIs ne vont jamais nous lâcher. C’est vrai qu’ils sont très gentils, mais bon… Ils sont surtout très collants…
Vincent – Des vrais sparadraps… Tu crois en être débarrassé, et tu te rends compte qu’ils te collent encore aux basques…
Juliette – Ils ne sont pas Bretons pour rien…
Vincent – Il faudrait trouver autre chose. Taper plus fort.
Juliette – Tu me fais peur…
Patrick et Christelle reviennent.
Christelle – On l’a changée, elle vient juste de se rendormir.
Patrick – Avec un peu de chance, on va pouvoir passer une bonne soirée. Enfin je veux dire… Compte tenu des circonstances.
Le portable de Patrick sonne et il prend l’appel.
Patrick – Ouais ? Ah oui, salut Marco. Ouais, ouais, ouais… Super ! Eh ben merci, je te revaudrai ça, mon pote. Ok, je suis avec Vincent là justement. D’accord, je te rappelle. (Il range son portable) C’était mon pote Marco. Son beauf peut nous prêter sa remorque pour transporter le bateau. Tu as une boule, toi ?
Vincent – Une boule ?
Patrick – Sur ta bagnole ! Pour accrocher la remorque…
Vincent – Ah oui… Enfin, non…
Patrick – Ce n’est pas grave. J’en mettrai une sur la mienne. Alors ça y est, mon ami ! On l’a notre voilier !
Christelle – Je crois que ces vacances en Bretagne vont nous faire le plus grand bien à tous.
Le portable de Vincent sonne et il prend l’appel.
Vincent – Ah Stéphane… Non, non, pas du tout… (Aux autres) Excusez-moi une minute…
Il sort.
Juliette – C’est Stéphane, son patron.
Patrick – Son patron ? Celui qui l’a foutu à la porte ?
Juliette – Eh oui…
Christelle – Et il continue à l’appeler Stéphane ?
Patrick – Il a toujours été trop gentil, Vincent, c’est ça son problème, et il y en a qui abusent…
Christelle – Trop bon, trop con.
Juliette – Ils sont en train de négocier les conditions de départ…
Patrick – Je croyais qu’il était en CDD. Il ne doit pas y avoir grand chose à négocier, non ?
Juliette – Je ne sais pas…
Christelle – Non mais dans quel monde on vit, je te jure… Vivement les vacances…
Juliette – Écoutez, pour les vacances, ça va vraiment être compliqué.
Christelle – Il ne faut pas vous laisser abattre, Juliette. Crois-moi, avec ce qui vous arrive, ça vous fera du bien à tous les deux.
Juliette – Justement, c’est… C’est de partir tous les deux… C’est ça qui ne va pas être possible…
Patrick – Et pourquoi ça ?
Juliette – Eh bien parce que… on va divorcer.
Christelle – Quoi ?
Patrick – Ce n’est pas possible…
Christelle – Dis-moi que ce n’est pas vrai…
Patrick – Pas vous…
Christelle – Pas maintenant. Avec ce que vous êtes en train de traverser tous les deux en ce moment.
Patrick – Vous devriez vous serrer les coudes, au contraire !
Juliette – En fait, c’est… C’est un truc auquel on pensait déjà depuis un certain temps. Je veux dire… Bien avant d’apprendre cette avalanche de mauvaises nouvelles. Et là on s’est dit que vraiment… Ce mariage… Ça ne nous portait pas chance, quoi…
Cette fois c’est Patrick qui se met à pleurer. Christelle le console. Vincent revient.
Vincent – Qu’est-ce qui se passe ?
Juliette – Je viens de leur dire… Pour notre divorce…
Vincent – Ah oui… Tu as bien fait…
Vincent paraît cependant un peu estomaqué.
Patrick – Je suis vraiment désolé, ce n’est pas mon genre de chialer comme ça devant tout le monde. Mais pour nous, vous étiez un modèle. Vincent et Juliette, c’était… Je ne sais pas, moi…
Christelle – Vincent et Juliette.
Patrick – Voilà. Quand on avait dit Vincent et Juliette, et ben…
Christelle – Il n’y avait plus rien à ajouter.
Patrick – C’était Vincent et Juliette, quoi.
Christelle – Et vous avez bien réfléchi ?
Vincent – On va laisser passer l’été. Prendre le temps d’y penser, chacun de son côté.
Juliette – Séparément.
Vincent – Alors vous comprenez bien que pour les vacances…
Juliette – On ne peut pas les passer ensemble en Bretagne.
Christelle – Je comprends, bien sûr….
Patrick – En tout cas, pas question qu’on choisisse entre vous deux, hein Christelle ?
Christelle – Évidemment.
Patrick – Vous restez tous les deux des amis. Et vous serez toujours les bienvenus chez nous.
Christelle – Et pour la Bretagne, et ben… Vous n’aurez qu’à venir à tour de rôle !
Patrick – Ah ben oui, tiens… Comme ça on pourra quand même profiter du bateau !
Christelle – Et puis comme ça, ça vous fait partir moins longtemps chacun… Avec les problèmes que vous avez…
Patrick – Vincent pourrait prendre la première quinzaine du mois d’août, et Juliette la deuxième…
Juliette – C’est gentil, mais je ne sais pas si… Qu’est-ce que tu en dis, toi, Vincent ?
Vincent – Je ne sais pas quoi dire…
Christelle – Eh ben ne dites rien…
Patrick – Mais quand même, ça m’en fout un coup…
Christelle – Oui, moi aussi.
Patrick et Christelle se mettent à pleurer tous les deux en même temps. Vincent et Juliette sont totalement démunis.
Christelle – Dire qu’on était témoins tous les deux à votre mariage, et que maintenant…
Juliette – Je vais aller m’occuper un peu de la cuisine. On ne va pas se laisser abattre, non plus… Vincent, tu leur sers un apéritif ?
Juliette sort.
Christelle – Écoute, Vincent, je t’ai toujours soutenu, mais là… Tu ne peux pas lui faire ça ! Pas avec ce qu’elle est en train de traverser en ce moment.
Vincent – Écoute, c’est elle qui…
Christelle – D’accord, Juliette n’a pas toujours été… exemplaire. Mais elle t’aime, et c’est ça qui compte.
Vincent – Comment ça, pas exemplaire ?
Christelle – Non, je veux dire… Tout le monde a ses défauts. Elle aussi. Mais souviens-toi, quand tu t’es fait opérer des amygdales ? Elle allait te voir tous les jours à l’hôpital…
Vincent – C’était les hémorroïdes…
Patrick – Oui, et ben elle, ce qu’elle a, c’est beaucoup plus grave que les hémorroïdes, crois-moi.
Christelle – Ok, la médecine a fait des progrès, mais on ne sait jamais.
Patrick – Aussi bien, dans trois ou six mois, tu seras veuf. Alors pourquoi se précipiter.
Christelle lance un regard interloqué à Patrick.
Christelle – Je ne l’aurais pas formulé comme ça, mais je pense aussi que ce divorce… Ce n’est vraiment pas la priorité, non ?
Juliette revient.
Juliette – Ce sera prêt dans cinq minutes. Vincent, tu veux bien t’occuper du vin. Je vais leur servir à boire, puisque tu ne l’as pas fait…
Vincent sort.
Patrick – Écoute, Christelle, je crois que vous êtes en train de faire la plus grosse connerie de votre vie.
Juliette – Tu crois ?
Patrick – Ok, Vincent a pu faire un petit accroc de temps en temps au contrat de mariage…
Juliette – Ah bon ? Tu sais quelque chose ?
Patrick – Pas spécialement… Mais c’est un homme, pas vrai ? Moi aussi, à la piscine, parfois… J’ai des tentations…
Christelle – Ah oui ?
Patrick – Quoi qu’il en soit, Vincent t’adore, c’est évident.
Juliette – Je sais mais…
Christelle – Mais quoi ?
Juliette – J’ai rencontré quelqu’un, voilà !
Christelle – Toi ? Tu as rencontré quelqu’un ?
Juliette – Quoi ? C’est si incroyable que ça ?
Christelle – Non, pas du tout, mais…
Juliette – Vincent ne voulait pas d’enfant. Et moi et bien… Je n’ai plus vingt ans, non plus.
Patrick – Comment ça, pas d’enfant ? En tout cas, Vincent ne m’a jamais dit à moi qu’il ne voulait pas d’enfant. Mais tu sais comment sont les hommes. Moi non plus, si Christelle n’avait pas un peu insisté.
Christelle – Un peu insisté ?
Patrick – Je veux seulement dire que d’avoir des mômes, ce n’est pas un besoin aussi impérieux pour nous. Mais une fois qu’ils sont là, on les adore, évidemment.
On entend des pleurs de bébé.
Christelle – Je suis contente d’apprendre que je t’ai forcé la main… Tu ne veux pas aller porter plainte pour viol, aussi ?
Patrick – J’essaie seulement d’arranger les choses, Christelle ! Je ne sais pas, moi… Peut-être que Vincent pensait que ce n’était pas le bon moment… Et entre nous, il n’avait peut-être pas tout à fait tort…
Christelle – À cause du cancer de Juliette ? Pas le bon moment ? Mais c’est monstrueux, ce que tu dis !
Patrick – À cause du licenciement de Vincent ! Mais je suis sûr qu’au fond de lui, il veut des enfants avec toi.
Juliette – Je t’assure que non, Patrick… D’ailleurs, ce n’est pas seulement qu’il ne veut pas… Il ne peut pas…
Christelle – Tu veux dire que… Vincent ne peut pas avoir d’enfants ?
Juliette – Non, bien sûr, mais… Il ne peut pas en avoir avec moi…
Patrick – Et pourquoi ça ?
Juliette – Parce que… Parce qu’il vient de m’avouer qu’il est homosexuel.
Blanc.
Christelle – Non…?
Vincent revient avec un tablier de style plutôt féminin autour de la table.
Vincent – On va peut-être passer directement à table, non ?
Christelle – Tu veux que je t’aide ?
Vincent – Mais non, restez assis. Juliette va m’aider…
Vincent et Juliette sortent.
Christelle – Ah oui, je comprends mieux, maintenant…
Patrick – Ah bon ?
Christelle – Pour le divorce. Je comprends que Juliette ait eu envie d’aller voir ailleurs…
Patrick – Ah oui…
Christelle – Franchement, j’ai l’impression de les découvrir, ce soir, tous les deux… Alors que ça fait des années qu’on se connaît…
Patrick – C’est incroyable… On croit connaître les gens, et puis…
Christelle – Et toi tu n’avais rien remarqué ?
Patrick – Remarqué quoi ?
Christelle – Qu’il était homo !
Patrick – Comment voulais-tu que je remarque un truc pareil ?
Christelle – Je ne sais pas… Vous passez beaucoup de temps ensemble tous les deux… Surtout pendant les vacances…
Patrick – Et alors ?
Christelle – Quand vous partez pendant des heures au large. En pédalo…
Patrick – Non mais ça ne va pas, non ?
Christelle – C’est vrai que je lui ai toujours trouvé un petit côté efféminé, mais bon…
Patrick – Efféminé ? Moi je n’avais rien remarqué. Mais maintenant que je le sais, c’est vrai que partir tout seul faire de la voile avec lui…
Christelle – Maintenant que tu sais qu’il est voile et vapeur…
Patrick – Ah les pauvres… Tu te rends compte ?
Christelle – Un licenciement, un cancer, un divorce. Et maintenant un coming out…
Patrick – La loi des séries… Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille…
Christelle – Je me demande si le fait d’apprendre que Vincent est homo, ça ne me perturbe pas encore plus que le cancer de Juliette.
Patrick – Eh oui… Quand on a un cancer, on arrive encore à guérir parfois. Mais quand on est homo…
Patrick fait tomber une pile de papier.
Patrick – Tiens, voilà ses résultats d’analyses, justement…
Christelle – Fais voir.
Patrick – Quand même…
Christelle – Si je dois en parler à la femme du Professeur Bismuth…
Patrick – Tu as raison.
Patrick lui tend le papier et elle le parcourt rapidement.
Christelle – Je ne comprends pas.
Patrick – C’est normal, le jargon des médecins, on n’y comprend jamais rien. C’est à croire qu’ils le font exprès.
Christelle – Non, je veux dire…
Patrick – C’est si grave que ça ?
Christelle – Ils disent que tout est normal !
Patrick – Normal ?
Christelle – C’est écrit là noir sur blanc ! Elle n’a rien du tout !
Patrick – Ce n’est pas possible… Fais voir…
Christelle – Tiens regarde !
Elle lui tend la feuille qu’il parcourt rapidement.
Patrick – Mais enfin… Qu’est-ce que ça veut dire ?
Le téléphone fixe sonne. Au bout de deux sonneries, on entend le message laissé par le correspondant.
Stéphane – Oui, c’est Stéphane, dis donc, pour rédiger ton CDI, il me faudrait quelques renseignements complémentaires. Rappelle-moi quand tu peux… Et pour Saint Rémy, c’est dommage, mais bon. Comme tu m’as dit que tu passais le mois d’août en Bretagne… Ce sera pour l’année prochaine, peut-être…
Patrick et Christelle échangent un regard atterré.
Patrick – Ils se sont bien foutus de nous… Mais pourquoi ? On n’est pas le premier avril, non ?
Christelle – Pourquoi ? Je ne sais pas… Il faut croire qu’on n’est pas assez bien pour eux…
Patrick – Quoi ?
Christelle – Ils veulent se débarrasser de nous, voilà ! Ils ne veulent plus partir avec nous en vacances, ils n’ont pas le courage de nous le dire en face, et c’est tout ce qu’ils ont trouvé.
Patrick – Non ? Ce n’est pas possible… Et le bateau ?
Christelle – Ils s’en foutent, de ton bateau ! Tu ne comprends pas ?
Un temps.
Patrick – Si, je commence à comprendre… Ça m’a pris un peu de temps… Mais je crois que là, ça commence à remonter jusqu’au cerveau…
Christelle – C’est vraiment minable… Le cancer, le licenciement, le divorce, tout ça c’était du baratin.
Patrick – Alors Vincent n’est pas homo non plus ?
Christelle – Ils nous ont menés en bateau, je te dis.
Patrick – Eh ben tu vois, je suis très déçu…
Vincent et Juliette reviennent avec un plat et autres victuailles qu’ils posent sur la table.
Juliette – Et voilà… On va pouvoir passer à table…
Ils prennent place en silence. Le malaise est palpable.
Vincent – Il ne faut pas que ça vous coupe l’appétit, non plus.
Vincent remplit les verres.
Vincent – Allez, santé ! Enfin, je veux dire…
Ils boivent.
Juliette – Il n’est pas mauvais…
Vincent – Oui, il est exactement à la bonne température.
Juliette – Ça va ? Vous ne dites rien…
Patrick – C’est… C’est qu’on est encore sous le choc…
Christelle – Oui, on est vraiment désolés, Vincent. Si on avait su…
Vincent – Pour… mon licenciement, tu veux dire.
Christelle – Oui, aussi, mais surtout…
Patrick – Si on avait su que tu étais homo.
Vincent (accusant le coup) – Ah oui…
Christelle – Juliette nous a tout raconté.
Patrick – Je sais, je ne suis pas le dernier à faire des plaisanteries douteuses là dessus. Mais tu sais bien que dans mon fondement… Je veux au fond de moi-même… Enfin… Je ne suis pas comme ça, quoi…
Vincent – Tu veux dire… Tu n’es pas homo…
Patrick – Je ne suis pas homophobe !
Vincent lance un regard perplexe à Juliette.
Vincent – Bien sûr…
Christelle – Quoi qu’il en soit… Homo ou pas, tu resteras toujours notre ami, Vincent.
Patrick – Parce que nous, on ne juge pas nos amis sur des détails comme ça, hein Christelle ? Pour nous, ce qui importe, en amitié, c’est la fidélité, tu vois…
Juliette – Bien sûr…
Christelle – De savoir qu’on peut compter sur ses amis en cas de problème, c’est ça qui est important.
Patrick – Le reste… Et puis entre amis, on doit pouvoir tout se dire, pas vrai ? On n’a pas besoin de se mentir…
Vincent – C’est sûr.
Christelle – Alors nous, on t’accepte comme tu es, Vincent.
Patrick – Et si tu veux continuer à partager avec moi de bons moments sur ce voilier, comme on le faisait avant sur notre pédalo… Enfin, je veux dire… Et bien moi je suis partant.
Vincent – Merci, je… Je suis vraiment très touché… Mais je ne sais pas si…
Juliette – Mais mangez, je vous en prie ! Ça va refroidir…
Ils commencent à manger en silence.
Juliette – Et c’était quoi, votre surprise, à vous ?
Christelle – Quelle surprise ?
Juliette – Tu m’avais parlé d’une surprise au téléphone…
Patrick – Ah, oui, ça…
Christelle – Oh, maintenant, ça n’a plus beaucoup d’importance.
Patrick – On leur dit quand même ?
Christelle – C’est toi qui vois…
Patrick – On a presque honte de vous le dire. Avec ce qui vous arrive…
Christelle le regarde, étonnée.
Juliette – Dites toujours.
Patrick – Christelle avait comme cliente une vieille dame au salon.
Christelle – Elle venait se faire coiffer tous les samedis matin à l’ouverture.
Patrick – Quelqu’un de très seule. Pas de famille. Juste un caniche…
Christelle – Madeleine.
Vincent – Tu parles d’un nom, pour un caniche…
Patrick – Non, c’est la dame qui s’appelait Madeleine.
Juliette – Bien sûr…
Christelle – Je m’en occupais bien de Madeleine. Elle voulait toujours que ce soit moi qui la coiffe. Je lui faisais la conversation. J’écoutais ses petites histoires. Je lui racontais les miennes. Elle m’aimait beaucoup. Elle avait toujours dit qu’elle ne m’oublierait pas quand elle mourrait. Je pensais que c’était des mots.
Patrick – Ou qu’elle nous laisserait une bricole, un bijou, quelques centaines d’euros…
Christelle – Elle est décédée il y a un mois. Sans héritier. Son notaire nous a appelés hier.
Patrick – Elle a désigné Christelle comme légataire universelle.
Christelle lance un regard étonné à Patrick, mais ne laisse rien paraître aux deux autres de sa surprise.
Juliette – C’est incroyable, cette histoire !
Vincent – Combien ?
Christelle – On ne sait pas encore exactement, mais le notaire a parlé d’une villa à Monaco. Avec piscine, et tout.
Patrick – On a un peu l’impression d’avoir gagné au loto… Tu te rends compte, pour un maître nageur, hériter d’une piscine ?
Vincent – Eh oui, c’est… C’est comme… un mineur qui hériterait d’une mine. Je veux dire une mine d’or, bien sûr…
Juliette – C’est dingue ! Mais vous n’avez pas l’air contents ? Moi, je ne sais pas… Si un truc comme ça m’arrivait…
Christelle – Maintenant qu’on sait le malheur qui vous frappe… Ça gâche un peu la fête…
Patrick – Et puis on préfère ne pas s’emballer trop vite… On attend d’avoir tous les détails.
Christelle – Non mais vous nous imaginez milliardaires ? Nous ?
Patrick – Patrick et Christelle, propriétaires d’une villa à Monaco !
Christelle – À Monaco, vous vous rendez compte ? Non seulement on serait riches, mais on ne paierait plus d’impôts.
Patrick – Non, il doit y avoir une couille quelque part.
Vincent – Comment ça une couille ?
Patrick – Des fois, il y a des successions…
Vincent – Quoi ?
Patrick – Parfois il y a des dettes, aussi… Tu crois devenir riche, et résultat, tu te retrouves avec un tas de créanciers au cul.
Christelle – Il faut bien réfléchir avant d’accepter ce genre de trucs.
Juliette – Rassurez-moi… Vous n’avez pas refusé, au moins ?
Christelle – On a demandé l’état exact de la succession.
Patrick – Sous bénéfice d’inventaire, ils appellent ça. Le notaire doit nous rappeler.
Christelle – Mais quand même, si jamais c’était vraiment vrai… Quel dommage que vous ne puissiez pas en profiter avec nous…
Juliette – Et oui…
Vincent – Mais vous ne mangez rien ! Allez-y !
Christelle – C’est très bon, mais toutes ces émotions… Ça nous a coupé l’appétit, tu vois…
Patrick – Vous permettez qu’on aille fumer une cigarette sur le balcon ?
Juliette – Non mais vous pouvez fumer ici.
Christelle – On ne va pas en plus te faire respirer notre fumée cancérigène…
Patrick et Christelle sortent. Embarras de Vincent et Juliette.
Juliette – C’est incroyable, cette histoire d’héritage…
Vincent – Ouais… Que ça leur arrive à eux…
Juliette – Patrick et Christelle.
Vincent – Ouais… J’ai un peu de mal à les imaginer tous les deux dans une villa à Monaco.
Juliette – C’est un peu comme ces gens qui gagnent au loto, et qui deviennent milliardaires du jour au lendemain. Quand on est pas préparés…
Vincent – C’est curieux, moi si ça m’arrivait… Je me sens tout à fait capable de faire face.
Juliette – Oui, moi aussi…
Vincent – Comme quoi le hasard fait bien mal les choses…
Silence.
Juliette – Remarque, c’est vrai qu’ils sont très gentils…
Vincent – Tu as vu leur réaction quand on leur a annoncé que tu avais un cancer et que j’étais licencié ?
Juliette – Sans parler de notre divorce…
Vincent – Et de mon homosexualité… Tu vois, moi qui pensais que Patrick était un horrible homophobe… Eh ben non, il était prêt à m’accepter comme je suis.
Juliette – Attends, je te rappelle que tu n’es pas vraiment homo, non ? Ou c’est moi qui ai raté un épisode.
Patrick et Christelle reviennent, le sourire aux lèvres.
Patrick – En fait on n’a pas fait que fumer…
Vincent – Ah non ?
Christelle – On en a profité pour passer quelques coups de fils, et on a de bonnes nouvelles à vous annoncer.
Juliette – Ah oui ?
Christelle – Ça y est, tu as rendez-vous avec le Professeur Bismuth la semaine prochaine. Jeudi à 10 heures.
Juliette – Je ne sais pas quoi te dire…
Patrick – Moi j’ai téléphoné à mon directeur à la piscine.
Vincent – À la piscine ?
Patrick – Si vraiment on hérite de la vieille, je ferai maître nageur seulement pour mes amis dans ma propre piscine, à Monaco.
Christelle – Adieu la Bretagne !
Patrick – Donc si ça t’intéresse de me remplacer.
Vincent – Te remplacer ?
Patrick – Ils vont forcément avoir besoin d’un autre maître nageur à la piscine.
Vincent – Mais je ne sais pas si…
Patrick – Maître nageur, ce n’est pas la mer à boire. Tu sais nager ?
Vincent – Oui…
Patrick – Et ben c’est bon ! T’es embauché !
Vincent – Je ne sais pas quoi dire…
Christelle – Eh ben ne dites rien !
Patrick – On est amis, non ?
Christelle – Si on était dans votre situation, vous feriez la même chose pour nous, pas vrai ?
Vincent – Si bien sûr…
On entend le bébé pleurer.
Christelle – Excusez-moi un instant.
Patrick – Je t’accompagne.
Patrick et Christelle sortent. Vincent et Juliette échangent un regard embarrassé.
Vincent – Je me demande si tous ces mensonges, c’était une si bonne idée que ça…
Juliette – Oui, je ne sais pas comment on va s’en sortir.
Silence.
Vincent – Tout ce qu’ils font pour nous… Je commence à culpabiliser…
Juliette – C’est vrai que… Je n’aurais pas imaginé ça d’eux…
Vincent – Des amis comme ça, on n’est pas prêts d’en retrouver.
Juliette – Tu veux dire… des amis avec une villa à Monaco…
Vincent – Aussi, oui…
Silence.
Christelle – Tu crois qu’on peut encore rattraper le coup ?
Vincent – Ça ne va pas être évident.
Christelle – Ouais…
Vincent – Il faudrait juste que d’ici à la fin de la soirée, tu guérisses de ton cancer, que je retrouve du boulot, qu’on se redécide à vivre ensemble…
Juliette – Et que tu changes d’orientation sexuelle.
Patrick et Christelle reviennent, hilare.
Patrick – Ça y est, cette fois c’est sûr !
Vincent – Pour mon poste de maître nageur, tu veux dire !
Patrick – Le notaire vient de nous appeler. Tout est clean. Pas un centime de dettes à la banque.
Christelle – C’est même tout le contraire… Les comptes de Madeleine sont pleins à craquer ! Ça déborde de partout !
Patrick – Et tu sais quoi ? On hérite aussi d’un yacht qui mouille actuellement dans le port de Monaco !
Christelle – Crois-moi Juliette, quand j’ai entendu ça. Il n’y a pas que le yacht qui mouillait…
Patrick – Adieu le petit rafiot du bon coin… Et celui-là, crois-moi, on n’aura pas besoin de remorque pour le transporter. Il est livré avec tout l’équipage !
Vincent – Non…
Patrick – Et tu sais comment il s’appelle ?
Vincent – Les Copains d’Abord ?
Patrick – Non, celui-là, il s’appelle Les Copains d’Avant…
Juliette – Mais c’est génial…
Vincent – Oui, on est vraiment contents pour vous.
Les sourires de Patrick et Christelle se figent soudain.
Patrick – Pardon… Sous le coup de la joie… On avait oublié un instant le malheur qui vous frappe…
Christelle – Quel dommage que vous ne puissiez pas profiter de tout ça avec nous…
Vincent – Eh oui…
Patrick – Avec votre divorce.
Juliette – Eh non…
Vincent et Juliette échangent un regard, puis c’est Vincent qui se lance.
Vincent – Non mais en fait, nous aussi on a bien réfléchi à ce que vous nous avez dit tout à l’heure.
Juliette – Il faut bien écouter les conseils des amis, non ?
Vincent – C’est vous qui avez raison. On ne divorce plus.
Patrick – Comment ça ? Je croyais que tu étais homo…
Vincent – Ça non plus, je ne suis plus très sûr…
Patrick – Ah bon…
Christelle – Mais alors du coup… Vous seriez disponibles cet été ? Ah non, je suis bête, évidemment… Avec ton cancer du pied…
Patrick – C’était pas le foie, plutôt ?
Juliette – Le pancréas.
Christelle – C’est ça, le pancréas. Ce n’est pas le meilleur, il paraît…
Vincent – Parfois, on en guérit.
Christelle – Ok, le Professeur Bismuth fait des miracles, mais il faut être réaliste, quand même.
Patrick – On ne voudrait pas vous donner de faux espoirs, non plus.
Christelle – Non, pour les vacances à Monaco, on va plutôt demander à François et Catherine, hein Patrick ?
Juliette – Ou alors on attend un peu pour voir s’il n’y aurait pas une erreur de diagnostic… On ne sait jamais…
Patrick – Eh ben… C’est fou, ça… On dirait que maintenant, ils regrettent de ne pas pouvoir partir en vacances avec leurs vieux amis, hein Christelle ?
Christelle – Peut-être parce que maintenant, on est milliardaires et qu’on a une villa à Monaco ?
Patrick – C’est sûr que c’est autre chose que de partir avec deux beaufs dans leur bicoque à Concarneau…
Vincent et Juliette échangent un regard paniqué.
Vincent – Non mais pas du tout…
Juliette – C’est juste que…
Christelle – Ne vous fatiguez pas, on sait pour ton soi-disant cancer et toi ton licenciement…
Patrick – C’est juste sur le fait de savoir si Vincent n’est pas vraiment un enculé qu’on n’est pas encore sûr.
Vincent – Enfin, je vous jure que…
Juliette – Mais pas du tout, enfin… C’est un épouvantable malentendu…
Christelle – On est tombés par hasard sur tes résultats médicaux.
Patrick – Et ton patron vient de laisser un message à propos de ton CDI… Il faudra que tu le rappelles, d’ailleurs…
Christelle – Vous vous êtes bien foutus de nous, hein ?
Patrick – Alors on n’est pas assez bien pour vous, c’est ça ?
Christelle – Enfin ça, c’était avant. Avant qu’on touche le gros lot !
Vincent – On est vraiment désolés…
Christelle – Allez viens, mon Patrick, on s’en va.
Juliette – Non mais vous n’allez pas partir comme ça !
Patrick – Tu vas chercher la petite ?
Christelle s’apprête à sortir.
Vincent – Ok… Ok, c’est vrai, on a déconné.
Juliette – On n’en pouvait plus, de la Bretagne. Ça peut se comprendre…
Vincent – Vous êtes nés là-bas, vous, mais nous, on n’est pas bretons !
Vincent – Quand on rentre à la fin du mois d’août, on est tellement blancs que les gens pensent qu’on prend nos vacances en septembre.
Juliette – Au début, on cherchait juste un prétexte pour se décommander.
Vincent – Sans vous vexer, parce que vous êtes de vrais amis.
Juliette – Après, les choses se sont enchaînées…
Vincent – Et c’est vrai que ça a un peu dérapé.
Juliette – Ça doit être cette histoire de bateau. On a eu peur de s’engager pour des années.
Vincent – Je n’osais pas vous le dire, mais personnellement, rien que d’y penser, ça me donne envie de vomir.
Patrick – Merci…
Vincent – Mais non, ce que je veux dire, c’est que… En bateau, j’ai le mal de mer, voilà.
Patrick (ironique) – Et tu crois que sur un yacht de trente mètres tu aurais moins le mal de mer, c’est ça ?
Juliette – Mais on s’en fout de ce yacht, je vous assure !
Vincent – Ce qu’on ne veut pas, c’est vous perdre comme amis, vous comprenez ?
Juliette – Et puis un yacht, ça doit beaucoup moins bouger qu’un petit voilier, non ? Je veux dire, pour le mal de mer…
Christelle – On est très déçus… Je pensais qu’on était de vrais amis. Des amis pour la vie.
Patrick – Les copains d’abord… Tu parles…
Christelle – Est-ce qu’on n’a pas toujours été là pour vous, nous, quand vous aviez des problèmes…
Juliette – Si bien sûr mais…
Un temps.
Vincent – Nous aussi.
Patrick – Quoi ?
Juliette – C’est vrai, nous aussi on vous a toujours soutenus.
Vincent – Tiens, quand ça n’allait pas si fort dans votre couple, par exemple.
Juliette – Quand Christelle a eu envie d’aller voir ailleurs avec son collègue du salon de coiffure. Avant de se rende compte qu’il était homo lui aussi.
Vincent – Pourquoi lui aussi ?
Patrick – C’est quoi, cette histoire ?
Christelle – Merci, Juliette, tu es vraiment une bonne copine.
Patrick – Non mais c’est quoi, cette histoire ?
Christelle – Ne t’inquiète pas, je t’expliquerai… Tu ne vois pas qu’ils espèrent s’en sortir en essayant de foutre la merde dans notre couple…
Juliette – Je suis désolée… Je ne voulais vraiment pas…
Christelle – Toujours là pour nous aider, mon cul… Vous étiez surtout là pour passer des vacances gratuites en Bretagne, oui.
Patrick – Pourquoi ils seraient allés voir ailleurs ? On ne vous a jamais demandé de participer aux frais d’entretien de la maison, pas vrai ?
Juliette – Pour les courses, on faisait quand même moitié moitié…
Christelle – Et maintenant, tout d’un coup, ils se rendent compte qu’on bronze très peu en Bretagne.
Patrick – On leur a peut-être proposé mieux ailleurs, va savoir…
Christelle – À Saint Rémy lès Chevreuse…
Patrick – C’est Saint Rémy de Provence, plutôt.
Juliette – Non, mais pas du tout.
Patrick – Ou alors c’est quand je t’ai demandé de payer la moitié du bateau que tu as changé d’avis…
Vincent – Je t’assure que non, c’est juste que…
Patrick – Allez viens Christelle, il vaut mieux qu’on s’en aille… Sinon je risque de lui foutre mon poing sur la gueule, à cet enculé.
Vincent – Je t’en prie… Évitons au moins les dérapages homophobes.
Juliette – Asseyez-vous, je vous en supplie. On ne va pas se quitter comme ça, sur un malentendu. Tiens, j’avais justement mis une bouteille de champagne au frais, spécialement pour vous…
Juliette s’empresse d’aller chercher le champagne.
Vincent – On ne va pas le laisser perdre, ce champagne… Allez ! En souvenir de tous les bons moments qu’on a passés ensemble. Après, si vous voulez, vous partirez.
Patrick et Christelle se rasseyent à contrecœur. Juliette revient avec la bouteille. Vincent sort des flûtes. Silence. Il ouvre la bouteille et remplit les verres.
Patrick – Ok, on va le boire votre mousseux. Mais ça ne nous empêchera pas de vous dire ce qu’on pense de vous ?
Christelle – C’est vrai, pour qui vous vous prenez ?
Patrick – Vous vous croyez vraiment supérieurs à nous ?
Christelle – Parce que vous avez… une cave à vin ?
Patrick (ironique) – Une cave à vin…
Vincent – Oui, bon, ça va…
Christelle – Parce que Vincent travaille dans l’informatique ?
Vincent – Le web marketing
Patrick – Et que Juliette se prend pour un écrivain ?
Juliette – Écrire, c’est toute ma vie, vous comprenez… Et pour réussir dans ce business, il faut rencontrer du monde… C’est pour ça que j’ai eu envie de… Enfin… De changer un peu d’atmosphère…
Christelle – De changer d’atmosphère… Parce que nous, on t’empêche de respirer, peut-être ?
Juliette – Excusez-moi, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…
Vincent – Pour moi aussi, mon métier, c’est important. J’ai de l’ambition, je l’avoue… Et c’est vrai que… ça m’a peut-être fait oublier un instant où étaient les vraies valeurs… Comme l’amitié… Hein, Juliette ?
Patrick – Tu as toujours été jaloux de moi, c’est ça la vérité.
Vincent – Moi, jaloux de toi ? Il ne faut pas exagérer, non plus… Pourquoi j’aurais été jaloux de toi ? Je veux dire avant que vous ne touchiez cet héritage ?
Patrick – Ah oui, c’est vrai… Comment est-ce que… le grand Vincent, à qui on vient juste de proposer un CDI dans sa boîte de marketing téléphonique, pourrait bien être jaloux d’un simple maître nageur ?
Vincent – C’est du web marketing, en fait… Mais bon, c’est vrai, pourquoi je serais jaloux de toi ?
Patrick – Je ne sais pas moi… Parce que je suis sorti avec ta femme avant toi ?
Vincent – Quoi ?
Juliette baisse la tête, mais ne dément pas.
Patrick – Tu n’étais pas au courant ?
Christelle – Moi non plus…
Juliette – Non, mais c’était juste une histoire d’un soir.
Vincent – Quel soir ?
Juliette – Dans cette fameuse boîte où on est sortis ensemble pour la première fois.
Vincent – On s’était rencontrés l’après-midi même. C’est moi qui t’avais donné rendez-vous là-bas !
Juliette – Oui, bon… Patrick est arrivé le premier. Je n’avais pas encore de lentilles de contact à cette époque-là. Je n’avais pas mis mes lunettes et…
Vincent – Et alors ?
Juliette – Il faisait noir, dans cette boîte. Vous vous ressembliez un peu. Je l’ai pris pour toi…
Vincent – Tu trouves qu’on se ressemble ?
Juliette – À l’époque, vous vous ressembliez. Et puis je n’avais pas mes lunettes, je te dis… J’étais déjà un peu bourrée. Mais dès que tu es arrivé, je me suis rendu compte de mon erreur…
Vincent – Merci… Ça me touche beaucoup.
Juliette – C’est quand même avec toi que je me suis mariée, non ?
Vincent – Oui… J’espère que tu avais mis tes lentilles le jour où tu m’as dit oui…
Christelle – Alors comme ça, tu es sortie avec Juliette ?
Patrick – Je ne te connaissais pas encore !
Juliette – C’est juste un quiprocu, je t’assure. Je veux dire un quiproquo…
Vincent – Je connaissais les femmes qui trompent leur mec, mais celles qui se trompent de mec…
Juliette – Non mais attends, c’était avant que je sorte avec toi !
Vincent – C’était le même soir… Tu es sortie avec deux mecs dans la même soirée !
Juliette – Mais je croyais que c’était toi ! Le mec que j’avais rencontré l’après-midi même, dont j’étais tombé tout de suite amoureuse. Évidemment, quand Patrick s’est mis à me parler, après, je me suis vite rendu compte que lui, il n’était pas bac plus cinq.
Christelle – Après ? Après quoi ?
Juliette – C’est seulement en sortant de sa voiture, quand je t’ai aperçu sur le parking, que j’ai compris mon erreur…
Vincent – En sortant de sa voiture ? Ah d’accord… Et dire que moi, j’ai dû attendre un mois avant que tu m’accordes tes faveurs…
Juliette – Non mais vas-y, traite-moi de salope, aussi !
Juliette se met à pleurer.
Patrick – Excuse-moi, je ne voulais pas…
Christelle – Il vaudrait peut-être mieux qu’on s’en aille…
Juliette – Finissez au moins votre poison… Je veux dire votre poisson…
Ils se remettent à table et mangent en silence.
Vincent – Tronçon de cabillaud gratinés et son écrasé de pommes de terre.
Juliette – C’est du poisson pané avec de la purée.
Christelle – En tout cas, c’est très bon.
Patrick – Et ça se marie très bien avec le champagne.
Vincent – Je vous ressers…
Ambiance glaciale. Vincent emplit à nouveau les flûtes, et lève la sienne.
Vincent – À votre nouvelle fortune ! Vous l’avez bien mérité…
Patrick – Mérité, il ne faut pas exagérer… C’est juste un héritage qui nous tombe dessus par miracle…
Juliette – Je ne crois pas aux miracles, c’est que vous avez dû faire quelque chose de bien pour le mériter. Cette vieille dame qui vous a couché sur son testament, elle a bien su voir que Christelle, c’était juste quelqu’un de bien, comme dit la chanson…
Silence.
Patrick – Ouais… Mais maintenant qu’on est milliardaires, comment on va savoir que vous êtes vraiment des amis, et pas seulement des pique-assiettes ?
Christelle – Je vais voir si tout va bien à côté…
Elle sort. Ils continuent à manger. Le portable de Patrick sonne. Il répond.
Patrick – Ouais…? Ouais… Ah, ouais… Non ? Ce n’est pas vrai ? D’accord… Merci de nous avoir appelés…
Christelle revient. Patrick range son portable.
Christelle – Elle dort… Qu’est-ce qui se passe ?
Patrick (effondré) – Il y a eu un glissement de terrain, à Concarneau.
Christelle – Et alors ?
Patrick – La maison… Elle a été engloutie par la mer.
Vincent – C’est une blague ?
Patrick – Non…
Christelle – Oh mon Dieu…
Patrick – Les vacances sont à l’eau…
Juliette – C’est le cas de le dire…
Elle rit nerveusement. Patrick et Christelle la fusillent du regard.
Vincent – Mais maintenant, avec cet héritage qui vous tombe dessus… Ça a moins d’importance, cette vieille bicoque à Concarneau, non ?
Patrick – Cette vieille bicoque ? C’est la maison de ma grand-mère…
Juliette – Non, mais enfin… Il n’y avait même pas les toilettes à l’intérieur de la maison… Maintenant que vous êtes propriétaires d’une villa avec piscine à Monaco…
Vincent – J’imagine que là-bas, il y a les wc à l’intérieur…
Patrick et Christelle semblent pourtant effondrés.
Christelle – À Monaco…
Patrick – Ne me dites pas que vous avez vraiment cru à une connerie pareille…
Juliette – Quoi ?
Patrick – Nous aussi on vous a mené en bateau !
Christelle – On n’est pas scénaristes, mais tu vois, nous aussi on sait inventer des histoires…
Vincent – Donc vous n’êtes plus milliardaires ? Enfin, je veux dire… Vous ne l’avez jamais été.
Christelle – Eh ben non, tu vois, on est restés des prolos…
Patrick – Et maintenant, en plus, on n’a nulle part où aller en vacances avec la petite cet été.
Juliette – Alors ta cliente, au salon, elle n’est pas morte ?
Christelle – Si…
Patrick – Et c’est vrai aussi qu’elle ne nous a pas oubliés sur son testament.
Christelle – Elle nous lègue son caniche…
Patrick – Rien qu’en toilettage, il doit coûter plus cher que sa défunte maîtresse en coiffeur.
Christelle – Et dire qu’on n’avait même pas encore fini de payer les travaux.
Juliette – Quels travaux ?
Christelle – Ah on ne vous a pas dit ? On a fait installer les toilettes à l’intérieur de la maison.
Patrick – Et maintenant tout ça a été engouffré dans l’océan. Comme si Dieu avait tiré la chasse…
Vincent – C’est vrai que c’était assez près de la mer, mais je n’aurais jamais pensé.
Patrick – Avec le réchauffement climatique…
Vincent – Mais vous êtes assurés, non ?
Christelle – On n’avait pas réglé la facture. Pour pouvoir payer le bateau…
On entend des pleurs de bébé.
Christelle – Je m’en occupe…
Patrick – Je vais t’aider.
Ils sortent.
Juliette – Au moins, ça règle définitivement le problème des vacances en Bretagne…
Vincent – Oui parce qu’avec ce marmot qui n’arrête pas de brailler, tu imagines les nuits qu’on aurait passées là-bas.
Juliette – Ça n’aurait pas été des vacances, c’est clair.
Vincent – Mais bon… Si seulement ce glissement de terrain était arrivé trois heures plus tôt, on se serait épargné tout ça…
Juliette – Non, mais on ne peut pas les laisser tomber…
Vincent – Tu crois ? Pourtant je t’avoue que cette idée m’avait traversé l’esprit un instant. (Elle lui lance un regard de reproche) Mais tu as raison, ce sont nos meilleurs amis…
Les deux autres reviennent.
Christelle – Elle s’est rendormie…
Patrick – Je ne sais pas comment on va faire…
Christelle – Pour commencer, on va faire une croix sur les vacances.
Patrick – Mais ça ne règle pas notre déficit à la banque. J’avais déjà fait un petit crédit pour payer ma part du bateau…
Vincent – Un crédit ? Non ?
Patrick – Tu penses bien que si j’avais eu de quoi le payer tout seul, je ne t’aurai jamais demandé de participer…
Juliette – Et pour le bateau, tu ne peux pas annuler ?
Patrick – J’ai déjà fait le chèque. Le type était pressé, il avait un autre client. Je lui ai juste demandé d’attendre quelques jours avant de l’encaisser. Le temps que Vincent me verse sa part.
Christelle – Vous vous rendez compte ? On se retrouve avec un bateau mais plus de maison en Bretagne pour en profiter !
Patrick – Je pourrai toujours faire du voilier tout seul sur la Seine. Parce que j’imagine que maintenant, toi, ça ne t’intéresse plus de me rembourser la moitié.
Vincent – Mais enfin Patrick, pour qui tu me prends ?
Patrick – Quoi ?
Vincent – On est amis, oui ou non ?
Patrick – Je t’avoue que je ne sais plus très bien…
Vincent – C’est combien, le bateau ?
Christelle – 6.000 euros.
Juliette – Ah oui, quand même…
Patrick – Ça faisait 3.000 euros chacun…
Vincent sort son chéquier et remplit un chèque.
Vincent – Tiens, voilà un chèque de 6.000 euros. Je te demande juste d’attendre lundi pour l’encaisser. Le temps que je puisse vider mon livret A pour créditer mon compte. Ce n’est presque plus rémunéré, le Livret A, de toute façon.
Patrick – Tu vas acheter tout seul un bateau sur lequel tu ne pourras jamais naviguer ?
Christelle – Mais pourquoi ?
Vincent – Comment il s’appelle, ce bateau ?
Patrick – Les Copains d’Abord…
Vincent – Eh ben alors !
Juliette – Et puis merde, on le fera naviguer quand même, ce voilier. Il y a bien des gîtes à louer pour pas trop cher du côté de Concarneau, non ?
Patrick – Un gîte ? Mais on n’aura jamais les moyens de payer notre part de la location !
Juliette – Ça fait des années que vous nous invitez dans votre… splendide villa avec vue sur la mer à Concarneau !
Patrick – Maintenant, c’est plutôt vue sous la mer, mais bon…
Juliette – Cette année, c’est nous qui vous invitons !
Christelle – Mais vous êtes fous ! Vous allez vous ruiner !
Vincent – Je vais commencer par revendre ma cave à vin… Tu as raison, ce n’est pas vraiment de l’ordre de l’indispensable…
Patrick – Non mais je te les rembourserai, ces trois mille euros. Même si je dois vendre un de mes reins.
Christelle – Ouais, enfin, avec tout le pastis que tu t’enfiles, je ne sais pas ce qu’ils peuvent encore valoir, tes rognons… Il faut voir les choses en face. On n’est pas vraiment sûr de pouvoir vous le rendre un jour, votre pognon…
Juliette – Ne t’inquiète pas. Les histoires d’argent, entre amis… Ce n’est pas ça qui compte vraiment, non ?
Patrick – Alors là, on ne sait pas quoi dire…
Vincent – Eh ben ne dis rien.
Les deux autres se marrent.
Vincent – Quoi ? Qu’est-ce que j’ai dit encore ?
Christelle – Non, mais attend, c’est une blague aussi.
Juliette – Quoi ?
Patrick – La maison de Concarneau ! Elle n’a rien !
Têtes abruties des deux autres.
Christelle – Vous avez l’air presque déçus ?
Vincent – Non, pas du tout, mais…
Juliette – Pourquoi nous avoir monté un baratin pareil ?
Patrick – C’est vous qui dites ça ?
Christelle – On voulait seulement vérifier si vous étiez de vrais amis ou pas.
Patrick – Et maintenant, on est fixés.
Patrick embrasse Vincent, et Christelle Juliette.
Christelle – Maintenant, on sait qu’on peut vraiment compter sur vous.
Patrick – Et si demain vous en avez marre de la Bretagne, vous nous le dites, tout simplement, d’accord ?
Christelle – Plutôt que d’aller vous inventer des cancers, des licenciements, des divorces…
Juliette – Non mais pas du tout !
Vincent – On part tous ensemble en Bretagne cet été, comme prévu !
Patrick – Et pour le bateau ?
Juliette – Il s’appelle comment, ce bateau, déjà ?
Christelle – Les Copains d’Abord.
Vincent – Alors on le garde, non ?
Pleurs de bébé.
Christelle – Bon, je crois qu’on ferait mieux d’y aller maintenant. On a tous eu assez d’émotions pour ce soir… Je vais chercher le bébé.
Elle va prendre le couffin.
Juliette – Mais alors c’était quoi, la surprise, en vrai ?
Patrick – Ah, oui, la surprise… Ça y est, on a décidé de la date du baptême, pour Sabrina.
Christelle revient avec le couffin.
Christelle – On pensait faire ça en Bretagne, cet été…
Juliette – Super…
Patrick – Et on avait pensé à vous pour être le parrain et la marraine…
Vincent – Non ?
Christelle – Vous êtes nos meilleurs amis, non ?
Patrick – C’est pour ça qu’on était aussi déçus…
Christelle – Alors ?
Vincent – Alors quoi ?
Patrick – Vous acceptez ?
Vincent – Mais bien sûr ! Hein Juliette ?
Juliette – Rien ne pouvait nous faire plus plaisir.
Patrick et Christelle écrasent une larme.
Christelle – Vous ne pouvez pas imaginer la joie que ça nous fait.
Patrick – Allez, il vaut mieux qu’on s’en aille maintenant, sinon on risquerait de se mettre à pleurer…
Le bébé se met à pleurer. Christelle prend le bébé dans le couffin et le met dans les bras de Vincent, plutôt embarrassé.
Christelle – Tu es son parrain, maintenant…
Vincent – Tu es sûr que ce n’est pas trop contagieux, quand même…
Ils sourient tous avec un air idiot. Christelle remet le bébé dans le couffin. Ils s’embrassent. Patrick et Christelle s’en vont. Vincent et Juliette restent seuls.
Juliette – Tiens on va finir le champagne…
Ils remplissent les flûtes et trinquent.
Vincent – La bonne nouvelle, c’est que je ne suis pas licencié, et que tu n’as pas de cancer.
Juliette – Et surtout que tu n’es pas homo et qu’on ne va pas divorcer…
Vincent – La mauvaise nouvelle c’est qu’on n’échappera pas au mois d’août à Concarneau avec ces deux abrutis.
Juliette – Et ce marmot qui n’arrête pas de brailler jour et nuit…
Vincent – Sans compter que maintenant, en plus, on est parrain et marraine…
Juliette – Oui, on fait presque partie de la famille…
Vincent – Autant dire qu’on n’est pas près de s’en débarrasser…
Juliette – Les amis, parfois, c’est plus facile de s’en faire que de s’en défaire…
Ils lèvent leurs verres pour trinquer une dernière fois.
Vincent – Bon ben alors…
Juliette – À l’amitié !
Ils boivent. Un temps.
Vincent – Il mériterait d’être un peu plus frais, non ?
Noir
Scénariste pour la télévision et auteur de théâtre,
Jean-Pierre Martinez a écrit une cinquantaine de comédies
régulièrement montées en France et à l’étranger.
Toutes les pièces de Jean-Pierre Martinez
sont librement téléchargeables sur :
Ce texte est protégé par les lois relatives
au droit de propriété intellectuelle.
Toute contrefaçon est passible d’une condamnation
allant jusqu’à 300 000 euros et 3 ans de prison
Paris – Novembre 2015
© La Comédi@thèque – ISBN 979-10-90908-65-9
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